vendredi 27 mars 2009
CHAQUE CONSTITUTION EST L’EXPRESSION DE SON TEMPS
Au point de vue matérielle la constitution peut se définir comme l’ensemble des règles écrites ou coutumières qui déterminent la forme de l’état la dévolution ou l’exercice du pouvoir. Au point de vue formel la constitution est un document relatif aux institutions politiques, dont l’élaboration et la modification obéissent à une procédure législative ordinaire, comme par exemple une assemblée constituante. Et généralement elle se définit comme la charte fondamentale de la nation. La constitution est souple quand elle peut être révisée par un organe qui adopte les mêmes procédures pour les lois ordinaires; tandis que la constitution rigide est celle qui ne peut être révisée que par un organe distinct, probablement les deux tiers des deux branches d’un parlement bicaméral. En règle générale les constitutions coutumières, comme celle de l’Angleterre sont souples, celle des Etats unis l’est exceptionnellement aussi. Quand la constitution est souple elle perd un pourcentage dans sa suprématie, car dans la hiérarchie des lois elle n’est pas réellement au sommet, vu qu’elle peut être modifiée comme toutes les autres lois. La constitution haïtienne de 1987 est fortement rigide. L’article 282 de cette constitution stipule que « le pouvoir législatif sur la proposition de l’une des deux chambres ou du pouvoir exécutif, a le droit de déclarer qu’il y a lieu d’amender la constitution avec motifs à l’appui» L’article 282-1 exige que cette déclaration d’amendement doit réunir les deux tiers des deux chambres, et les autres articles continuent la rigidité de cette charte. Cette constitution est tellement rigide qu’elle côtoie en ce sens la ligne anti-démocratique, en son article 284-3 stipulant que « Toute consultation populaire tendant à modifier la constitution par voie de referendum est formellement interdite »
La constitution est le reflet d’un Etat de droit, sa mission sociopolitique est le bannissement de l’arbitraire. La nature ou le caractère d’une constitution ne dépend pas, ne varie pas, selon que l’Etat soit unitaire ou fédéral.
La vie constitutionnelle commence en Haïti à partir de 1801, si l’on admet indiscutablement que la nation existe avant l’Etat, car la constitution est la charte fondamentale de la nation mais non de l’Etat. Par contre on ne saurait réfuter la thèse qui fait de la constitution l’expression de la souveraineté de l’Etat qui est aussi, une création humaine, un phénomène historique, politique et juridique, une réalité nationale et internationale. Certains actes posés par Toussaint Louverture justifient l’existence de cet Etat, tel l’accord commercial conclu avec l’Angleterre en 1797, connu historiquement sous le nom de traité de La Pointe Bourgeoise. Les Traités sont de la compétence des Etats souverains. Cette constitution était confectionnée par Toussaint Louverture pour éteindre les ambitions de Napoléon de soumettre toute l’Amérique sous sa puissance. Un Empire ou le soleil ne se couche jamais était son rêve. Toussaint Louverture voulait un instrument juridique pour mettre un frein à l’esclavage des nègres par les Blancs. Ce fut une constitution anti esclavagiste, antiraciste imprégnée en filigrane d’un esprit indépendantiste. Elle fut publiée solennellement le 10 Juillet 1801.
Le 20 Mai 1805 Dessalines a promulgué la constitution impériale. Peut-on admettre que l’Etat souverain d’Haïti fut dirigé du premier janvier 1804 au 20 Mai 1805 sans Constitution ou dans la continuité de celle de 1801?
Cette charte fondamentale devait formaliser juridiquement les destinées de l’île d’Haïti. Elle est anti colonialiste, anti esclavagiste, anti raciste et interraciale. Elle admet sans xénophobie aucune, la cohabitation entre plusieurs races. Cette constitution fait d’Haïti le premier Etat du monde qui, fraîchement conquiert son Indépendance, ne manifeste aucun esprit de xénophobie en accordant la nationalité haïtienne aux étrangers de race africaine et indienne sans exclusion des blancs Polonais et Allemands. Et plus tard le nouvel Etat est allé plus loin en appliquant le droit racial avec la constitution de 1816.
La constitution du 20 Mai 1805 établit un régime militaire, totalitaire et absolu, avec compétence sur toute l’île d’Haïti qui répond aux exigences de l’époque, c'est-à-dire la gestion de la guerre pour garantir la paix, sauvegarder l’indépendance fraîchement acquise aux prix de grands sacrifices et contrer toute velléité des puissances colonialistes, plus spécialement La France.
En passant par la constitution du 27 Décembre 1806 qui introduit la République dans la littérature politique haïtienne, en transitant par les documents de la scission, la constitution de 1843 a véhiculé la pensée de grands changements, de grandes reformes dans la société haïtienne. C’est la constitution de 1843 qui la première fois, a manifesté l’idée de confier le poste de président à des civils pour mettre fin au règne des militaires, substitua le terme paroisse en commune, a donné naissance par la suite à la première secrétairerie d’Etat de l‘instruction publique. Le terme paroisse a été réapparu avec Soulouque. Sans négliger les effets des autres sur notre histoire, voyons la constitution de 1889, celle qui a connu la plus longue vie dans l’histoire politique haïtienne, qui a résisté aux assauts des politiciens haïtiens, mais qui succomba sous les baïonnettes des occupants en 1918.
La raison fondamentale de l’abrogation de la constitution de 1889 en 1918 était pour accorder le droit à la propriété foncière aux étrangers. Ce privilège leur était interdit depuis la constitution de 1805. Donc un pays qui est sous l’occupation ne peut en aucun cas amender sa constitution dans ses propres intérêts. Depuis 1990 la communauté internationale devient une actrice principale dans la vie nationale haïtienne. Les constitutions sont toujours confectionnées dans l’intérêt de ceux qui portent les baïonnettes. Et ce n’est pas sans raison que Tonton Nord scandait haut et fort que « konstitisyon se papye, bayonèt se fè ».
La constitution de 1987 est née de l’euphorie populaire, de l’émotion nationale et même de la folie haïtienne. Ainsi les constituants d’alors voulaient offrir à la nation une œuvre qui répondrait aux aspirations séculaires du peuple haïtien, mais, comme disait Blaise Pascal « le malheur veut qui veut faire l’ange fait la bête. ». En effet cette tendance n’est ni bizarre ni un hasard, car à chaque régime totalitaire, à chaque constitution anti démocratique, se succède une constitution libérale. Après la constitution de 1816 qui légitima les régimes de Pétion et de Boyer on a eu la constitution de 1843, très libérale, très démocratique. Donc la constitution de 1987 a suivi les mêmes sillons de l’histoire.
Les constituants ont voulu créer une rupture avec les régimes présidentiels trop forts, ils ont voulu un président sans dents et sans griffe, un chef de doublure qui exécute à coté d’un premier ministre puissant qui contrôle la machine gouvernementale. La constitution de 1983 a bien créé le poste de premier ministre, mais aujourd’hui l’expérience prouve que les us et coutumes politiques d’Haïti s’accordent mieux au régime présidentiel. L’exécutif bicéphale est trop conflictuel. En réalité, le président de la République garde malgré tout un pouvoir très étendu selon la constitution de 1987. Le premier ministre est le chef du gouvernement certes, mais c’est le président de la République qui dirige le conseil des ministres (art 166). Et de surplus l’article 136, fait de lui le maître d’œuvre, le grand patron des institutions publiques. « Le président de la République, chef de l’Etat, veille au respect et à l’exécution de la constitution et à la stabilité des institutions. Il assure le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que la continuité de l’Etat ». Cette constitution projette une autre confusion dans les relations entre l’exécutif et le parlement. Elle ne définit ni un régime parlementaire, ni un régime présidentiel et semi parlementaire non plus.
Pierre Pactet dans son ouvrage intitulé « Les institutions politiques et Droit Constitutionnel définit cette dyarchie comme un régime dualiste. « En régime parlementaire dualiste, le gouvernement est politiquement responsable non seulement devant l’assemblée, ou les assemblées, comme il a été explique, mais aussi devant le chef de l’Etat, qui participe activement à l’exercice du pouvoir. Il est clair qu’un tel système ne peut fonctionner correctement que si le chef de l’Etat et la majorité parlementaire appartiennent au même courant politique, car s’il n’en est pas ainsi, la position du gouvernement risque de devenir intenable…….c’est pourquoi le régime parlementaire dualiste est justement critiqué, car il ne peut conduire qu’à un blocage des institutions »
La constitution établit alors un régime d’assemblée qu’on n’est jamais arrivé à instituer. Et ces assemblées ne sont définies ni comme une branche de l’exécutif, ni comme un parlement régional. Elles exercent un pouvoir de contrôle sur les collectivités, elles peuvent participer au conseil des ministres, et peuvent aussi choisir les juges, acteurs du pouvoir judiciaire.
Le projet d’amendement de cette constitution est bien une nécessité, mais pas une urgence et non plus une priorité. Cette constitution est une couveuse de jobs qui alourdissent les charges de l’Etat qui devient impotent devant ses responsabilités et qui renonce aux services à la population. Comment expliquer que l’application d’une constitution peut amener même à l’hypothèque de la souveraineté nationale, car le budget national est supporté à soixante dix pourcents par l’aide internationale ? Quel scandale ? Quelle vassalisation ?
La souveraineté alimentaire n’est qu’un rêve et même un cauchemar, avec moins de vingt cinq pourcents des trente pourcents de l’espace cultivable et l’importation de plus de cinquante pourcents des produits alimentaires négligés par notre agriculture un millions d’œufs par jour de la République Dominicaine.
Par conséquent il faut penser un nouvel Etat, il faut panser l’Etat, il faut créer une démocratie haïtienne, et alors promulguer une constitution à la dimension d’une nouvelle vision et à la mesure de nos moyens. On ne peut importer ni la démocratie, ni le développement économique. En plus une nouvelle constitution n’apportera rien de nouveau au pays, si nos dirigeants gardent cette même mentalité d’irresponsabilité et d’insouciance, s’ils continuent à diriger sans aucun respect de la personne humaine et des biens de l’Etat. Le vrai amendement est celui de notre conscience et de notre mentalité. Le 17 octobre 2007 le président de la République a accusé la constitution comme responsables de l’instabilité du Pays. C’est faux, la constitution est innocente. Ce n’est pas la charte fondamentale qui est responsable des retards budgétaires, et le non respect des calendriers électoraux. L’opinion nationale semble opter pour la double nationalité ou l’intégration des haïtiens jouissant d’une nationalité étrangère dans la gestion du pays, selon l’esprit de la loi de juillet 2002 promulguée par le gouvernement Lavalas ; l’instauration d’une cour constitutionnelle et la création d’une force de défense du territoire national. Donc le projet nécessite un grand débat national pour savoir ce qu’il faut rejeter, ce qu’il faut conserver et ce qu’il faut ajouter.
Mais le grand dilemme, c’est le pouvoir en place qui n’inspire aucune confiance pour un projet national de si grande envergure. Son attitude, son esprit d’exclusion manifestée pour l’organisation des nouvelles élections pour le renouvellement du tiers du sénat inquiètent. La commission qu’il a créée à cet effet exclut la diaspora catégoriquement, l’organisation politique Fanmi Lavalas et certaines personnalités bien trempées dans le droit public.
A bas l’exclusion d’où qu’elle vienne !
En conclusion on aura beau changer ou amender les constitutions, le pays restera inchangé si nos hommes et nos femmes d’Etat n’opèrent aucun amendement dans leur conscience, aucun changement dans leur savoir faire. La vingt deuxième constitution est menacée d’être amendée après vingt deux ans d’existence. Mais en même temps la météorologie politique du pays annonce de nouvelles crises qui seront provoquées par les prochaines élections qui seront les plus pauvres en participation, les moins démocratiques et les moins libres, par la méthodologie adoptée par le président de la République pour amender la constitution, par la maladresse du pouvoir en place miné par la corruption et l’incohérence, par la crise économique chronique qui gangrène le pays . Le brasier de l’émeute de la faim d’avril dernier est encore fumant. Nous n’avons pas réellement un problème de constitution, mais plutôt un problème d’hommes et de femmes pour respecter et faire respecter la constitution. Nous faisons ce qui est prohibé par la constitution, nous négligeons ce que la constitution nous ordonne. Cette prophétie de Firmin, faite un mois avant sa mort le 19 septembre 1911 est encore d’actualité « Je puis disparaître sans voir poindre à l’horizon, l’aurore d’un jour meilleur. Cependant, même après ma mort, il faudra de deux choses l’une : ou Haïti passe sous une domination étrangère ou elle adopte résolument les principes au nom desquels j’ai toujours lutté et combattu. Car au vingtième siècle et dans l’hémisphère occidental, aucun peuple ne peut vivre indéfiniment sous la tyrannie, dans l’injustice, l’ignorance et la misère »
BELL ANGELOT, Professeur de droit public
Directeur fondateur du Centre Haïtien de Recherches et
D’Investigations en Sciences Sociales
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