mardi 16 février 2010

Sortir l'Etat sous les décombres

Pour le pays, pour la patrie, luttons unis
Pour le pays, pour les ancêtres vivons unis
Pour le pays et pour nous-mêmes soyons unis.
Du sol et du sous sol soyons seuls maitres
Marchons unis, marchons unis



« Nou pap dekouraje, menm kan nou fatige »

Nous venons de compter plusieurs centaines de milliers de cadavres et de blessés. C'est l'évènement le plus tragique, le plus sanglant, le plus meurtrier que nous sommes en train de vivre depuis la guerre de l'Indépendance. Nous connaissons des jours malheureux depuis l'aube jusqu'au crépuscule du vingtième siècle. Les guerres civiles de 1902, entre les partisans de Nord Alexis et ceux d'Antênor Firmin furent aussi une catastrophe socio politique et ont couté à la nation des pertes énormes. Firmin fut un modèle de nationaliste, un visionnaire moderne, un échantillon d'intellectuel, un élément d'élite qui a connu et reconnu sa vocation. Firmin étant battu par les troupes de Tonton Nord, protégé des puissances internationales de l'époque, devait partir pour l'exil jusqu'à sa mort à l'ile de St Thomas le 19 Septembre 1911. La guerre des cacos a couté aussi au pays des milliers de morts et d'exilés. Les blancs sont partis en 1934, en octobre 1937 Raphael Leonidas Trujillo a fait massacrer des milliers d'Haïtiens en République Dominicaine. Cet évènement cynique, cupide et inhumain porte le nom historique de Vêpres Dominicaines. Il faut se rappeler que la majeure partie des victimes de ces vêpres furent les paysans qui fuyaient la répression des marines contre les Cacos.

En 1941 la paysannerie était totalement bouleversée par la campagne répressive anti superstitieuse, dite campagne des rejetés au cours de laquelle on a compté encore des milliers de cadavres. Le peuple était persécuté jusque dans sa foi jusque dans sa conscience. Pendant les trente années du Duvaliérisme, la peur, la répression, la prison, l'exil, l'exécution, sont les mots qui jalonnent la littérature politique du pays. Ce sont des mots qui ont engendré les maux les plus douloureux.

Après 1986 les coups d'Etat en cascade ont multiplié des cadavres dans les annales de la vie nationale. L'instabilité devient une constante, et la mort presqu'une culture dans la politique. Dans moins de vingt ans les troupes américaines et les casques bleues ont foulé le sol national trois fois avec des missions onusiennes comme : La MINUHA, La MANUH et enfin la MINUSTAH. Les catastrophes naturelles ont laissé au pays des souvenirs macabres, ce sont des tragédies qui ont contribué aussi à l'affaiblissement de l'Etat tant au point de vue politique qu'économique. Les cicatrices et les séquelles du colonialisme et de l'esclavage font de la terre d'Haïti et de l'Homme haïtien un territoire et un être en voie de disparition.

Après le meurtrier séisme de 1842 qui avait détruit la ville du Cap haïtien et l'économie nationale, celui de 1904 avait aussi secoué avec violence les régions du nord et de la République Dominicaine. En 1946 à coté des troubles socio politiques qui ont déchiré Haïti, un autre séisme d'une magnitude plus faible que les précédents a tremblé la terre d'Haïti.
Dans tout cet imbroglio politico social et économique l'Etat se meurt. La terre d'Haïti et l'Homme haïtien sont en voie de disparition. La dégradation de l'environnement est la crise profonde. Le pays est sous les décombres, les décombres de la dépendance politique et économique. La souveraineté nationale est hypothéquée au prix le plus bas. La souveraineté alimentaire est aliénée culturellement. Les familles haïtiennes sont assujetties à des recettes alimentaires ou nutritionnelles qui sont en marge de nos traditions. Haïti devient un pays de contrastes. Nous laissons nos terres sans hommes, libres, et des hommes sans terre s'émigrent en République voisine pour vendre leur force de travail à vil prix, nous fermons nos usines sucrières et nous importons du sucre, les valeurs allouées aux élections sont largement supérieures à l'enveloppe budgétaire consacrée à l'agriculture. Les organismes non gouvernementaux, ONG, sans aucune coordination, s'attèlent à des activités de développement sans aucun contrôle de l'Etat. Haïti est peut être le pays qui a le plus de ONG par tête d'habitants et au kilomètre carré. Ils sont très nombreux. Ils incombent la responsabilité de l'Etat de délabrement seulement aux instances gouvernementales. Alors ! Le séisme du 12 Janvier 2010 met l'Etat d'Haïti à nu. Les organismes non gouvernementaux, ONG se substituent à l'Etat. Cette scandaleuse et catastrophique faillite de l'Etat doit être partagée aussi avec la communauté internationale, présente sur la scène politique nationale en actrice principale.

Il faut créer l'Etat haïtien, un Etat fort et utile. Si fort qu'on aura tort de l'appeler un Etat démocratique, et si utile qu'on aura aussi tort de l'appeler un Etat dictatorial. Un Etat fort et utile avec des lois rigides, avec une vision moderne, sous la dictature de la loi. L'Etat doit être au service de la Nation. Le temps est à l'évaluation. La communauté internationale, actrice principale, présente dans toutes les affaires nationales doit partager avec l'Etat haïtien les résultats catastrophiques des vingt dernières années. La gestion de la catastrophe qui est une autre catastrophe prouve que ni les ONG, ni la communauté internationale, ni le gouvernement ne sont pas dans le même sac. Ils s'accusent l'un l'autre et ils contribuent directement au naufrage de l'Etat. L'Etat est sous les décombres. Les décombres de la maladresse administrative, de l'irresponsabilité, de la dépendance, de la corruption, du pillage et du gaspillage. L'intrusion des ONG dans les programmes de développement et dans les affaires internes du pays n'est pas moins complice de l'effondrement de l'édifice national. La nation va de catastrophe en catastrophe. Durant ces vingt cinq dernières années Haïti a connu dix huit formes de gouvernements, cinq seulement sont issus des élections. Durant cette même période la pauvre nation est saccagée par six géants cyclones très désastreux et plus d'une dizaine d'inondations sauvages. Des accidents sanglants et des naufrages meurtriers, des tragédies des Boat people, des massacres politiques ; le trafic de l'insécurité font de cette nation un pays de « Deuils et de faux conflit ». Après chaque changement de gouvernement, c'est une catastrophe sociale, après chaque saison, c'est un désastre économique. Crise écologique, crise économique, crise sociale, crise politique, toutes se résument en une seule : Une crise de valeurs, une Crise Morale.

L'Etat haïtien est sous les décombres. Les failles de la mauvaise gouvernance ayant atteint leur phase de rupture, suite à l'accumulation des énergies négatives des coups d'Etat, du pillage et du gaspillage des ressources du pays, de l'anarchie généralisée tant dans nos institutions que dans notre environnement, le séisme a lancé ses secousses. Et L'Etat est sous les décombres. Violences naturelles, violences sociales, violences politiques ! L'ETENTE NATIONALE EST LE SEUL REMEDE!

Alors que faire ?
Gérer méthodiquement, selon les normes de gestion des risques et de désastres, la catastrophe du 12 janvier :

• Il faut libérer les survivants sur les places publiques et leur dire en toute franchise qu'il revient à eux-mêmes de prendre en main le reste de leur vie, la charité internationale ne les affranchira pas de cette geôle en plein air.


• Que les ministères des affaires étrangères et de l'intérieur jouent leur rôle au près de la communauté internationale pour coordonner l'assistance internationale afin qu'elle puisse servir aux vraies victimes. L'aide internationale, sans la coopération effective du pays qui reçoit peut être un instrument de domination.

• L'Etat doit prendre en urgence un plan d'évacuation de la population vivant dans les zones à risques. Les constructions anarchiques rendent la population encore plus vulnérable. Le code d'investissement doit être actualisé et vulgarisé en créant des parcs industriels dans les provinces. La décentralisation de l'investissement.

• L'assistance internationale ne doit pas être éternelle. C'est dans la catastrophe ou le malheur que le peuple doit mesurer son courage. Une partie des masses financières promises par la communauté internationale doit être investie en urgence dans l'agriculture vivrière pour que le pays puisse retrouver sa souveraineté alimentaire.

• Constituer un collège d'architectes et d'ingénieurs haïtiens pour un plan stratégique de reconstruction de logements. Le gouvernement doit prendre un arrêté le plus vite que possible pour surseoir toute opération de vente et d'arpentage de terrain et d'immeubles dans la zone métropolitaine, ceci pour empêcher tout conflit terrien immobilier. La Publication d'un code de construction est d'extrême urgence.

• Réouverture des classes avec assistance technique, financière et pédagogique aux écoles avec un nouveau calendrier scolaire et un nouveau programme. Par exemple il faut ajouter au programme scolaire un cours sur la gestion des catastrophes. L'Etat doit prendre des dispositions sérieuses afin de prévenir des épidémies. En plus un appui psychologique est indispensable à la population en générale et aux élèves en particulier.


Il faut amender la constitution.

Il nous faut une constitution, comme instrument de gouvernance pour une période de quinze ans au minimum.

1. Alléger la machine administrative pour permettre à l'état de mieux s'engager dans les services sociaux et renflouer son budget d'investissement (santé, éducation, gestion des catastrophes, logements sociaux etc.) Pourquoi dans cette conjoncture un exécutif bicéphale ? Pourquoi pas un président avec un nombre significatif de secrétaires d'état. Pourquoi un parlement bicaméral avec un député par commune et un sénat ? Pourquoi pas un conseil législatif de 40 à 50 membres, composé d'hommes et de femmes doués d'une certaine expérience et disposés à servir la nation en péril ?

2. Créer une force armée digne de son nom. Rendre le service militaire obligatoire à tous les jeunes haïtiens âgés de 18 ans accomplis. Il faut mobiliser pour reboiser le pays; il revient à chaque haïtien de planter des arbres comme action civique. Il faut actualiser les lois sur les forets communales. Etablir des pépinières à travers tous les départements. Le territoire doit être aménagé en affinité avec un code de construction. Nous vivons sur un territoire sans plan d'aménagement, sans cadastre effectif. Le bureau de gestion du territoire doit être un service déconcentré de l'armée, comme le bureau de land of management est un service déconcentré de l'armée américaine. Contrairement à quoi bon de parler de démocratie, de développement et de décentralisation. En plus il faut s'attendre à d'autres catastrophes. Le réchauffement climatique est réel. Alors allons-nous attendre les armées françaises et américaines pour retirer nos premiers cadavres sous les décombres ?

3. Décréter l'Etat d'urgence dans certaines villes du pays comme Port au Prince, Cap Haïtien, Gonaïves, Jacmel, Léogane etc. en les dotant d'une législation spéciale

4. La loi doit exiger à tout citoyen haïtien de planter quelques arbres en échange à certains services. Le service de la protection civile doit être renforcé. Il faut insérer dans les programmes scolaires les notions de protection et de prévention contre les catastrophes. L'organisation du Transport est obligatoire. Le transport maritime doit être considéré avec priorité. Déconcentrer les services de distribution des produits pétroliers, l'université d'Etat d'Haïti.

Haïti est aujourd'hui un malade qui peut mourir pour avoir trop de médecins à son chevet. Haïti doit renforcer sa capacité d'absorption, doit pouvoir gérer l'aide internationale. On peut reprendre les mots d'Edmond Muller, représentant du secrétaire général de l'ONU qui a déclaré : « C'est également une opportunité pour les Haïtiens eux-mêmes de mesurer l'étendue de leurs propres responsabilités et de mettre la main à la pâte. Ils sont également une composante du problème. Ce séisme va leur faire réfléchir à leur part de responsabilité et les amener à reconstruire Haïti comme il faut »
Quant au premier ministre haïtien il est plus consistant, malgré les lacunes de son gouvernement, en exclamant que : « Il ne s'agit pas de reconstruire, il s'agit de penser un pays ». La grande inquiétude c'est que les pays donateurs donnent l'impression qu'ils ne s'entendent pas, et chacun d'eux a son petit groupe d'ONG ; et ils concertent pour déclarer le gouvernement actuel impotent, irresponsable et corrompu. Alors Haïti doit sortir sous les décombres pour prendre en main son futur.


Bell Angelot, Professeur
Directeur fondateur du centre
Haïtien de Recherches et d'investigations
En sciences Sociales, CHRISS


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