lundi 3 mai 2010

LA LOI TUE-T-ELLE?

Le 12 janvier 2010 la terre a tremblé aussi bien que les cœurs en Haïti, plus précisément à Port au Prince. La capitale a tremblé, toute la nation est sous les décombres. C’est le résultat d’une politique de concentration favorisant le monopole économique et le clientélisme politique. C’est aussi la conséquence d’une anarchie généralisée, où même l’Etat est un agent de développement anarchique.

L’Etat a réagi très tard après le séisme, on s’attendait à ce que l’état d’urgence fût décrété le soir même du 12 Janvier par le président de la république. Et pourtant non, le chef de l’Etat et tout son appareil gouvernemental ont brillé par leur silence. Ils ont tout laissé à la merci de la nature, livré les survivants aux bandits, aux voleurs et aux pillards.

Finalement quatre mois après, une loi est votée par le parlement accordant le plein pouvoir à l’exécutif pour une période de dix huit mois. Cette loi est paradoxale, illogique, ambiguë, anti démocratique et porteuse des germes de la dictature. Cette loi de l’état d’urgence est votée au moment où le gouvernement devrait être renvoyé pour la pénurie de carburant qui a mis tout le pays en état d’alerte. Après une catastrophe si meurtrière, laissant près d’un demi million de cadavres, des milliers d’handicapés, près d’un million de sans abris, des milliers d’orphelins, un gouvernement responsable devait empêcher une telle crise. Paradoxalement ce gouvernement bénéficie d’une loi d’urgence pour dix huit mois. Le pouvoir exécutif pourrait sélectionner une série de projets relatifs aux séquelles de la catastrophe et demander le bénéfice de l’urgence au parlement.

En plus géographiquement tout le pays n’a pas été frappé par le séisme. Alors pourquoi tout le pays, toutes les actions gouvernementales et toutes les interventions de l’état sous la loi d’urgence ?

Par le vote de cette loi, le pouvoir exécutif s’est suicidé d’abord en substituant son rôle à une commission intérimaire constituée en majeure partie par les représentants de la communauté internationale ; le parlement s’est étranglé ensuite en conférant tous ses pouvoirs à l’exécutif. La souveraineté nationale est bien hypothéquée. On est passé d’une tutelle de fait à une tutelle de droit, on est passé de la mission de coopération à une mission d’occupation. Et la constitution ? Elle est mise en veilleuse tacitement par la publication de la loi d’urgence de 18 mois. Le parlement a liquidé son pouvoir de contrôle, les libertés publiques sont sur mesure, malgré les prescrits de la charte fondamentale. Le lexique des termes Juridiques , Dalloz , définit ainsi l’état d’urgence : « régime restrictif des libertés publiques pouvant être appliqué par une loi sur tout ou partie du territoire national, caractérisé surtout par l’extension des pouvoirs ordinaires de police des autorités civiles » . La définition est très claire, donc à qui sait comprendre peu de mots suffisent.

La loi d’urgence a aussi engendré la commission intérimaire composée d’étrangers et d’haïtiens. C’est inédit dans l’histoire politique haïtienne. Ces étrangers seront-ils au service de l’état haïtien ? Auront-ils l’aval du gouvernement de leur pays ? Pourquoi cette commission est nommée par le parlement et non par l’exécutif ? La commission intérimaire est par déduction au dessus du pouvoir exécutif, et le parlement peut disparaître à n’importe quel moment. A bien comprendre le mot intérimaire qui se définit dans le petit Larousse ainsi : « Personne qui exerce une fonction temporairement à la place de son titulaire ». Donc à la place de qui ou de quoi cette commission va exercer sa fonction ?

Cette commission n’a-t-elle pas la présomption ou la prétention de remplacer le président de la République au cas où les élections n’auront pas lieu, ou au cas de la démission de ce dernier. Cette commission intérimaire peut éventuellement remplacer aussi le parlement ou nommer un conseil d’Etat comme c’était le cas en 1915. Donc entre ces deux expressions : Etat d’urgence et commission intérimaire la confusion est profonde et on peut s’attendre à n’importe quoi. Rien n’est défini clairement. Tutelle, occupation, coopération, état d’urgence, commission intérimaire, reconstruction, voila les mots nouveaux de la littérature politique haïtienne.

La publication de cette loi met l’état à nu. Selon des explications fournies par certains proches du pouvoir, ils acceptent l’inefficacité de l’état accusé de corrompu par la communauté internationale. En aucun cas les membres de ce gouvernement ne pourront se défendre contre les accusations et allégations des communautés internationales. Cette loi est votée sous prétexte de manque de confiance à nos dirigeants, ils sont corrompus, incompétents etc., en plus c’est grâce à la communauté internationale que nous sommes encore en vie après le 12 janvier clament certains membres du gouvernement.

Cette loi donne provision même au gouvernement qui succédera à celui qui est en fonction actuellement ; le parlement qui doit sortir des éventuelles élections, la quarante-neuvième législature, entrera en fonction avec sa « babouquette » à la bouche. Sous cette loi d’urgence peut-on avoir des élections libres honnêtes et démocratiques ?

Ce qui nous tue, certains sénateurs interrogés individuellement, admettent que cette loi est entichée d’erreurs, qu’elle est anti constitutionnelle, illogique et anti démocratique, et qu’elle transgresse les principes de la souveraineté nationale, mais elle est votée malgré tout. C’est là, la force, l’influence du Président Préval sur ces pâles menteurs, oh ! Excusez-moi, ses parlementaires.

La commission intérimaire est créée par la loi, donc elle est l’œuvre du pouvoir législatif. Alors, cette commission recevra son investiture de quelle institution ?
Des informations non encore confirmées, mais de source digne de foi, font savoir qu’après le 10 mai le parlement sera converti en assemblée constituante pour la confection d’une nouvelle constitution. Si c’est vrai la confusion sera encore plus large. Le président de la République aura tous les instruments en main pour faire ce qu’il veut avec Haïti.

Au moment même de cet imbroglio provoqué par cette fameuse loi d’urgence, la compagnie Vietnamienne de télécommunication, LE VIETEL, prend possession de la TELECO. Quelle coïncidence ?

Enfin la catastrophe du 12 Janvier 2010, sert de prétextes à tout, sauf au salut d’Haïti par les Haïtiens eux-mêmes. Ce serait le meilleur prétexte pour une entente nationale, mais l’ayant rejetée, ce sera le péril national. On devient pessimiste malgré soi. Tous les pays sont mobilisés pour la « reconstruction » d’Haïti, sauf Haïti, tous les peuples se sentent concernés par la reconstruction d’Haïti, sauf les Haïtiens. Des conférences partout et ailleurs dans le monde sur la reconstruction d’Haïti, sauf en Haïti. La catastrophe du 12 Janvier va supporter tous les malheurs de ce pays pour éclipser toutes les catastrophes politiques qui ont saccagé ce pays ces derniers jours. Le gouvernement pourra se servir du séisme du douze janvier comme son bouclier. Des désastres et des catastrophes ne manquent pas dans la politique haïtienne. La gestion gouvernementale actuelle est bien une catastrophe.

Le président de la République devrait prendre des mesures économiques pour que chaque haïtien puisse donner sa contribution à cette reconstruction. L’Haïtien le plus pauvre peut aussi donner sa gourde ou sa force de travail. La communauté internationale peut toujours construire une Haïti sans notre participation, mais l’âme haïtienne sera détruite. Vivre sous les tentes devient un trafic à Port au Prince.

Le gouvernement quête la pitié de cette communauté internationale en laissant tout à la charge de cette dernière. Pourquoi devant l’aéroport même ce spectacle pitoyable, certes mais révoltant ? Pourquoi un camp de concentration à la porte d’entrée d’un pays, à quand la libération du Champs de Mars ? Nous voulons faire de la misère du peuple une denrée d’exportation.

Après le 12 janvier 2010, l’entente est très loin de nous, et pourtant le peuple est sous les tentes et toute la nation est dans l’attente. Enfin nous redisons avec la même détermination et la même conviction que nous l’avons écrit dans notre dernier ouvrage : « Haïti, un Pays de Deuils et de Faux Conflits », « La démocratie et le développement économique sont les deux faces d’une même médaille, on ne les importe pas, on ne les sépare pas, à chaque peuple son histoire et sa culture, à chaque peuple sa démocratie » Que Haïti, Vive !


Bell Angelot




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