vendredi 7 août 2009

SALAIRE MINIMUM, CHALEUR MAXIMUM


Le salaire minimum est par définition stricte la rémunération qu’un employeur doit attribuer à un employé pour un temps minimum de travail; généralement 8 heures . En effet il représente une rémunération brute, c’est à dire sans déductions des cotisations sociales telles : les assurances et les taxes. Le salaire minimum n’est plus une simple expression de la littérature du capitalisme, il devient un concept international du monde du travail, visionné de façons différentes selon les doctrines et les idéologies. Pour les libéraux le salaire minimum protège les ouvriers paresseux et inefficaces qui ne produisent pas assez pour cette valeur dans l’entreprise. Pour certains marxistes le salaire minimum limite relativement l’exploitation ouvrière, et les socio démocrates croient qu’il est un instrument de justice sociale.

En Haïti, on ne sait comment définir le salaire minimum puisque vraiment ce pays n’est ni une société capitaliste, ni une société esclavagiste, et moins encore un pays socialiste. On le confond avec le salaire journalier. En principe les démarches sont capitalistes, les structures féodales et les mentalités esclavagistes. On comprend très mal ce concept et on l’utilise abusivement. Le gouvernement l’a abordé avec sa maladresse habituelle et a renoncé à son rôle régulateur tout en se penchant sur la classe patronale, celle-ci a réagi avec la crainte de la diminution de la marge de profit. Quant aux parlementaires ils l’ont utilisé avec émotion comme une manœuvre électorale, une échéance politique au peuple, le malheureux créancier. Le salaire minimum n’a pas une longue histoire et c’est un débat qui n’est pas trop vieux dans notre littérature socio politique. C’est avec le grand mouvement revendicatif de 1946 qui a enflammé le syndicalisme et la lutte ouvrière que le concept a connu une plus large audience. Les ouvriers de Haïtien sugar company, Hasco dans l’ouest et ceux de la plantation Dauphin dans le Nord Est ne recevaient qu’une gourde cinquante pour une journée de travail. Cette maudite valeur devait passer à trois gourdes après de violentes et sanglantes revendications, surtout avec Daniel Fignolé le leader des rouleaux compresseurs, porte voix des masses ouvrières de La saline et de Bel air, et du prêtre Hubert Papayer pour les damnés des plantations Dauphin ; mais celui-ci fut récupéré par François Duvalier. Fignolé fut plébiscité comme président le 25 mai 1957 ; il fut renversé par un coup d’état militaire mené par le général Antonio Th. Kebreau, en faveur de François Duvalier, le 14 juin 1957, soit après 19 jours de règne. Ainsi Fignolé le leader des masses urbaines et paysannes fut envoyé en exil sans consolider les dispositions prises en faveur des ouvriers. Il a fallu attendre le milieu des années 70, avec l’émergence d’une masse ouvrière au parc industriel pour le vote d’un nouveau salaire minimum de treize gourdes et vingt centimes. En 1986 il est passé à quinze gourdes et à dix huit gourdes un peu plus tard. En septembre 1991, le président Jn Bertrand Aristide a proposé de relever le salaire minimum à 24 gourdes. Cette nouvelle disposition devait entrer en vigueur à partir du premier octobre 1991, le 30 septembre le président est renversé par un coup d’état. Le dossier est porté alors aux calendes grecques. En 1995 revenu d’exil, il porta le salaire minimum à trente six gourdes. Le 7 février 2002, c’est lui encore qui a eu le courage de relever le salaire minimum à soixante dix gourdes.

En 2009, sept ans après, le salaire minimum n’a connu aucune hausse, il est encore fixé à soixante dix gourdes, et une simple proposition de deux cents gourdes a secoué toutes les sphères de la société haïtienne. Les flammes des contradictions montent et descendent. « Tout moun nan cho ». Les débats contradictoires sont houleux au parlement, dans les rues, dans les marchés publics, dans les facultés…etc. Dans le déroulement des délibérations certains parlementaires ont gagné du poil, le président de la République a perdu des plumes. Mais toute une classe politique est avilie, toute une génération démasquée. La majeure partie des acteurs de la politique haïtienne actuelle sont de la gauche. Des gauchistes qui luttent contre des ouvriers. Quand des gauchistes sont des serviteurs de la droite, ils deviennent des gauchers. Les maladresses de la gauche sont répugnantes : théories de gauche, pratique droite et gauche.

Les débats montrent le niveau de notre société. Nous n’avons aucune pratique de résoudre dans le dialogue un problème contradictoire. Nous sommes intolérants les uns envers les autres. Nous avons toujours la présomption d’être l’unique détenteur de la vérité. Peut être un jour le temps et les évènements nous feront la leçon,
Les soixante dix gourdes et même les deux cents gourdes comme salaire minimum ne pourront en aucun cas permettre à un ouvrier de vivre décemment et dignement dans une Haïti où l’Etat n’offre absolument rien comme sécurité sociale. C’est un salaire de misère qui réduit l’ouvrier à l’état d’esclave. Même le salaire minimum de deux cents gourdes ne pourra payer aujourd’hui la ration alimentaire exigée aux maitres par le code noir qui dans son article 22 stipulait que « seront tenus les maitres de fournir, par chacune semaine, à leurs esclaves âgés de dix ans et au dessus pour leur nourriture , deux pots et demi, mesure du pays, de farine de manioc, ou trois cassaves pesant deux livres et demie chacune au moins, ou choses équivalentes avec deux livres de bœuf salé ou trois livres de poisson, ou autres choses à proportion, et aux enfants, depuis qu’ils sont sevrés jusqu'à l’âge de dix ans, la moitie des vivres ci-dessus. » Faisons la comparaison. A soixante dix gourdes par jour l’ouvrier haïtien gagne 350 gourdes par semaine, valeur qui ne peut payer cette ration aujourd’hui. Une cassave seulement coute 250 gdes. Les 15 gourdes reçues par l’ouvrier haïtien en 1986 équivalaient à $2.95, aujourd’hui 70 gdes équivalent à $1.70.

Les deux cents gourdes ne vont pas passer sans casser des verres. Les infirmières, les instituteurs, certains journalistes, les secrétaires, les policiers, les juges de paix etc. pourront ils octroyer ce salaire minimum à leur servante ? Ne va-t-on pas exiger de nos servantes un niveau académique ou professionnel pour être embauchées. Les petites bourses de la classe moyenne ne pouvant rémunérer légalement une servante, un gardien seront-elles en mesure de préparer le déjeuner et de faire la lessive. Si oui avec quelle technologie ? Le débat salarial est propre à la société capitaliste industrialisée.

Pauvre Haïti. ! A la grande surprise de toute la nation, le mardi 3 Aout 2009, très tard dans la nuit, la chambre des députés a voté contre sa propre proposition de 200 gourdes et aussi contre les objections du Président Préval. Ainsi ils ont crucifié la masse ouvrière sur l’autel de l’exploitation au prix de soixante dix gourdes; car tant que ces dilatoires, ces manœuvres politiciennes et déloyales persistent, les soixante dix gourdes persistent aussi. Le matin du vote, les masses ouvrières, les étudiants se sont donné rendez vous devant le parlement. Ils ont manifesté pacifiquement, mais les slogans ont été chauds et piqués. La police et la Minustha ont dispersé ces revendicateurs par les gaz lacrymogènes. Quelle démocratie ?

Le débat sur le salaire minimum se coïncide avec celui sur la révision constitutionnelle. La constitution de 1987 connaitra t elle le sort de celle de 1889.? Jusqu'à date ces deux constitutions ont connu une plus longue existence dans ce pays qui croit que « konstitisyon se papye bayonèt se fè ». Deux constitutions rigides à esprit démocratique et libéral, celle de 1889 était amandée en 1918 juste pour accorder le droit de la propriété foncière aux étrangers. Franklin D. Roosevelt avait le courage de dire « je suis fier de doter Haïti d’une belle et bonne constitution ». Aujourd’hui encore Haïti est sous l’occupation et on vient d’immoler la constitution. Pour quel motif ? On a raté l’occasion d’amender la constitution dans l’objectif de redéfinir l’état haïtien en abrogeant tous les articles ambigus et conflictuels, alléger l’appareil étatique en éliminant une série de fonctions fantômes qui ne peuvent exister sans l’hypothèque de la souveraineté nationale. Pourquoi un premier ministre dont les attributions sont si paradoxales, pourquoi un bicaméralisme irrationnel ? On parle de la création d’un conseil constitutionnel, encore des charges pour l’Etat. Pourquoi ne pas renforcer la cour de cassation ?

La société haïtienne est comme un bâtiment vétuste dont les piliers sont pourris que la moindre brise peut effondrer. Les structures héritées du temps colonial sont surannées.

Salaire minimum, amendement de la constitution, double nationalité, n’apporteront rien. Le changement partiel ne donnera rien. C’est un système qu’il faut changer en bloc. Il faut surtout amender la conscience de nos politiciens et de nos hommes d’affaires. Créer de nouvelles institutions, c’est pour la galerie, pour de nouveaux jobs tout simplement.
Quel état de droit avec de tels salaires? Le droit de travailler, le devoir d’investir. La lutte contre la pauvreté est un devoir civique, la lutte contre les pauvres est un crime contre l’humanité. Le salaire minimum suit le mouvement des prix. Pourquoi parler de démocratie quand on veut traiter ses concitoyens pires que des esclaves ?

A force de trop tergiverser, on devient provocateur du chaos. Le peuple a gagné les rues contre ses propres représentants. La politique haïtienne est vraiment originale. Le salaire minimum peut provoquer des agitations au maximum.

Prof.Bell Angelot, directeur
Du centre haïtien de recherches et
D’investigations en sciences sociales


www.fanmilavalas.net

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