samedi 4 avril 2009

A L’HORIZON EN HAITI, UN PARLEMENT "BONHOMME COACHI"


Par Joël Léon

« Marche arrière » de Roger Dorsainvil, n’a jamais cessé de hanter mon esprit dès qu’il s’agit de réflexions sur les hommes politiques de mon pays.
Le 1er Mars 1847, un fait insolite allait se produire dans l’histoire des luttes politiques haïtiennes. L’honorable sénateur Beaubrun Ardouin exaspéré de l’agonie électorale, allait suggérer à ses pairs parlementaires d’élire le candidat ayant le moins de vote à la présidence. A la grande stupéfaction, les autres sénateurs, probablement épuisés et fatigués après avoir voté pendant huit fois pour départager les généraux Jean-Paul et Souffrant, tous deux candidats à la présidence, avaient fini par admettre la proposition de l’historien/sénateur. Ainsi fut élu à la première magistrature de l’Etat, le général Faustin Elie Soulouque parce qu’il jouissait de moins de votes: génial! Un Soulouque que l’on ridiculisait en lui accolant le sobriquet de « Bonhomme Coachi » que certains imaginaient inapte et inepte à être un chef d’Etat et dont on pourrait aisément tirer les ficelles.
Certainement Faustin Soulouque n’est pas l’objet de cet article, mais il sera utilisé comme argument comparatif et politique pour comprendre les acteurs politiques et étatiques de notre temps.
La mise à l’écart du parti politique majoritaire du pays, Fanmi Lavalas, va nous conduire à une situation à celle de 1847. Un Sénat formé de partis politiques non représentatifs nous renvoiera à « un grand corps » (petit corps) à l’image du « Bonhomme Coachi », parce que ce sont les partis minoritaires qui seront majoritaires dans l’enceinte d’une institution aussi fondamentale pour le pays qu’est le Sénat de la République. D’après la constitution en vigueur, le Sénat est indispensable. Visitons donc l’article 97 :
1) proposer à l'Exécutif la liste des juges de la Cour de Cassation selon les prescriptions de la Constitution;
2) s'ériger en Haute Cour de justice;
3) exercer toutes autres attributions qui lui sont assignées par la présente Constitution et par la loi.
Donc, cette institution doit jouir d’une grande légitimité afin de jouer son rôle conformément à la constitution. Toute carence à ce niveau constitue un danger imminent pour les autres institutions, en particulier l’autre branche du pouvoir législatif, la chambre des Députés. Un sénat de type «bonhomme Coachi», c'est-à-dire un grand corps sans légitimité ni représentativité mettra en péril l’équilibre des pouvoirs, situation de fait qui favorisera l’exécutif toujours en quête de failles pour se soustraire à tout contrôle parlementaire. Si l’Empereur Soulouque a été le grand bénéficiaire, il y a 162 années de cela, ce ne sera pas le même scénario pour le Sénat haïtien, parce que ne jouissant pas de pouvoir direct sur les institutions. N’ayant pas les forces publiques sous contrôle, ni le monopole de la violence institutionnelle, le Sénat n’est pas en mesure de s’imposer politiquement. René Préval sera le gagnant. L’exécutif sera tout-puissant, et pourra se passer aisément du Sénat qui souffre d’anémie de légitimité. Si René Préval n’a pas l’étoffe d’un politicien moderne ou trop savant, il comble ce vide par son génie à faire des calculs politiques de « Qui perd gagne » ou « Pike Kole ».
Il a tout à gagner avec un sénat de type «bonhomme Coachi», il peut modifier la constitution à sa guise en s’éternisant au pouvoir par le maintien pour une durée indéterminée des forces d’occupation dans le pays. Il faut apporter un éclaircissement ici: si en Amérique latine il y a une « opération de rapatriement des décisions politiques nationales », l’Haïti de René Préval est à contre-courant. Au contraire, l’exécutif choisit d’éterniser les forces d’occupation, reçoit des dictées de divers pôles de pouvoir (USA, France, Brésil, Canada, Argentine…).Tandis que le Venezuela, le Nicaragua, la Bolivie, Cuba, l’Equateur… dénoncent le projet impérialiste pour le continent en s’évertuant à former des initiatives autonomes de contre-pouvoir impérialiste au niveau continental. Ceux qui associent Préval au projet anti-impérialiste latino américain se trompent grandement. Il est différent des leaders de ces pays qui ont leurs « rêves dans la tête et les armes à la main ». René Préval n’a pas de rêve, car tout rêve impose des sacrifices. Donc, la tentative du président de doter le pays d’un parlement de type « bonhomme Coachi » se situe dans la logique du pouvoir personnel ayant comme objectif la reconquête du pouvoir politique perdu depuis 1986 par la classe traditionnelle de pouvoir d’Etat. Préval n’est dans l’intérêt d’aucune démocratie, formelle ou populaire parce qu’il n’a pas de cause. Sommes-nous à la veille d’une nouvelle tyrannie ?
Avec ces élections d’exclusion, l’exécutif avance le premier pion de son agenda. Un agenda antipopulaire qui ne dit pas encore son nom. Car jusqu'à présent, ce sont les représentants « panzouyis » de l’oligarchie qui occupent toutes les avenues de la présidence, à travers des personnalités des affaires ou des groupes hétéroclites. L’homme de Marmelade a le vent en poupe, malheureusement pour lui « les peuples, ils sont trop têtus et intelligents pour se faire prendre ». Il ne réussira pas, comme ses prédécesseurs. Préval va se heurter à une mobilisation populaire contre l’occupation et ses valets. Cependant, un autre « rendez-vous manque » n’est pas une option pour Haïti, il faut maintenant engager un processus national de mémoire, c'est-à-dire dénoncer le plan Bonhomme Coachi des institutions de la république que Préval trame à la manière de Soulouque.
Beaubrun Ardouin a fait école, plus de 162 ans après, les dirigeants haïtiens de l’Etat ont opté pour cette option paradoxale et imbécile consistant à marginaliser les masses populaires dans la gestion de la chose publique.
Faustin Soulouque a passé plus de 12 ans au pouvoir, le président Bonhomme Coachi que les mulâtres Boyeristes avaient hissé à la présidence parce qu’il était noir, âgé et idiot, s’était « conduit en chef d’état ». Il avait dirigé le pays d’une main de fer, il avait rétabli la paix sociale dans le sang, il s’était entouré de noirs fidèles, il s’était écarté de ses « parachuteurs », il avait tenté de matérialiser son rêve national en envahissant sans succès la Dominicaine par trois fois et s’était finalement fait couronner Empereur (dans la lignée du fondateur de la patrie haïtienne, Jean J. Dessalines)…Préval n’a pas d’ambitions dignes du peuple haïtien, sinon asseoir son pouvoir en distribuant des miettes à un Paul Denis, tenant un business à l’intérieur du Palais national, vendant des sandwichs et de gazeuses glacées ou à un Chavannes Jeune qui a aussi son « demele » à lui. Préval a tenu le cap en cours commencé sous le gouvernement de Latortue, consistant à sauvegarder les avantages fiscaux du secteur des affaires, en créant une caste qui tournoie autour de lui avec « une autorisation de tuer et voler ». Depuis, les scandales mafieux sont innombrables. Le dernier en date est l’affaire de l’argent de la drogue que les responsables locaux et nationaux ont vite fait d’étouffer ; pour le faire tous les moyens ont été bons, y compris l’exécution sommaire et l’empoisonnement. Donc, c’est une mafia qui dirige le pays, ou « l’omerta » s’impose.
On a besoin d’un parlement à la « bonhomme coachi » pour freiner les enquêtes, exonérer les responsables, parachuter des laquais dans les missions diplomatiques et falsifier les données. Fanmi Lavalas, comme parti politique de masses, doit être écarté. Maintenant c’est le règne absolu des minorités. La mise en application d’une politique élitiste dont l’objectif est le pillage des richesses nationales, mais présenté par les idéologues du pouvoir, notamment Fritz Longchamp, Robert Manuel et Boulon, comme un moyen de combattre le populisme. En termes clairs, l’équipe au pouvoir suit les prescrits de Roger Noriega, qui incessamment lance des appels à lutter contre le « populisme » en Amérique latine. Après 3 ans de pouvoir, nous finissons par comprendre la mission secrète de Préval. Tenir le peuple et ses organisations en dehors de la gestion de l’Etat, le plus loin possible. Si aujourd’hui, la poursuite de cet objectif se fait par des moyens politiques, plus tard lorsque le peuple en aura marre, le masque de gentleman va tomber. La répression sera exercée contre tous les leaders populaires et les organisations conservant encore leurs capacités de mobilisation au niveau national. Le courant national est dans l’impasse, le futur est non seulement incertain mais aussi maculé de sang.
Empêcher la mise en place d’un parlement à la «bonhomme coachi» est nécessaire. De là, nous pouvons freiner l’appétit politique de René Préval; mettre en déroute la classe traditionnelle de pouvoir d’état ; obtenir la désoccupation du territoire national; éloigner la mafia du pouvoir politique; rejeter l’idéologie antipopulaire de Roger Noriega et du coup restaurer la souveraineté populaire et nationale sur les institutions haïtiennes.

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